2) Dopages exotiques
a) Fibres dopées Bismuth
Depuis fin 2005, nous réalisons par MCVD des préformes aluminosilicates, germanosilicates et phosphosilicates dopées bismuth. L’intérêt relativement récent (le premier rapport d’une émission IR dans les verres de ce type date de 2001) suscité par ce dopage réside dans la possibilité qu’il offre d’obtenir, suivant la composition de la matrice hôte, un effet laser dans le proche infrarouge autour de 1,1-1,5 µm. Outre le fait que cette gamme spectrale n’est pas accessible avec les ions de terre-rare dans la silice, l’intérêt de ce dopant réside dans ses bandes d’émission lumineuse larges de plusieurs centaines de nanomètres. En outre, la forme de cette émission est très dépendante de la longueur d’onde d’excitation. Il est très vite apparu qu’il était possible d’exploiter cette luminescence pour réaliser des lasers à fibres. Malgré un grand progrès dans le développement de lasers à fibres dopées par le bismuth, il reste beaucoup de questions à élucider. Par exemple, la réalisation d’un laser efficace à fibre dopée par le bismuth ne peut être obtenue qu’avec un très faible taux de dopage, tandis que les taux de dopage élevés conduisent à l’extinction complète de l’effet laser. Les problèmes liés au développement des fibres optiques dopées par le bismuth et leur utilisation ultérieure dans les dispositifs optiques ne peuvent être résolus sans une compréhension approfondie de la nature de la photoluminescence infrarouge proche. Ce travail se poursuit actuellement par l’étude des propriétés optiques du bismuth lorsqu’il est introduit dans un verre de silice pure réalisé par voie sol-gel [1] et par l’étude de l’impact de l’atmosphère sur les propriétés d’émission/absorption de préformes MCVD. Ce sujet est soutenu depuis 2013 par l’ANR dans le cadre du programme blanc (projet BOATS).
Courbe d’atténuation d’une fibre air/silice à cœur dopé bismuth. Deux bandes d’absorption principales sont mises en évidence autour de 800 et 1400 nm.
Spectres de photoluminescence enregistrés sur fibres, en fonction de la longueur d’onde d’excitation. L’émission du centre lié au bismuth apparaît très décalée vers le rouge en comparaison de ce qui est observé dans les fibres aluminosilicates.
Préforme dopée au Bismuth.
b) Dopage des fibres par des nanoparticules métalliques
Il est connu que les nanoparticules (NPs) de métaux nobles ou de semi-conducteurs présentent des coefficients non-linéaires importants, notamment au voisinage des résonances (plasmon de surface SPR pour les métaux ; exciton pour les semi-conducteurs). Les NPs peuvent être étudiées également dans le cadre du transfert d’énergie vers des ions actifs pour augmenter les performances d’amplificateurs ou de lasers. Ces nano-objets, très étudiés sous forme de films minces ou dans des matériaux massifs, n’ont cependant jamais été introduits de manière clairement démontrée dans le cœur d’une fibre optique. Cette quasi-absence de réalisation reste en partie liée à la difficulté de préserver les NPs lors des étapes de fabrication du verre de silice et du fibrage. Ainsi, alors que la température de fusion de l’or métallique est proche de 1064°C, la température de travail du verre est, quant à elle, proche de 2000°C.
Une première stratégie a consisté à nous appuyer sur la synthèse sol-gel des verres de silice, développée à Lille depuis 2002 dans le cas des monolithes, pour réduire l’impact de ces étapes à haute température. Cette approche repose sur une voie chimique qui permet d’aboutir à des verres nanoporeux pouvant être imprégnés par des solutions contenant les précurseurs souhaités. Par exemple, afin de stabiliser des NPs d’or dans le cœur d’une fibre, nous pouvons imprégner des xérogels poreux de silice par un précurseur d’or ou par une solution contenant des nanoparticules d’or. Après densification des poreux, on obtient alors des monolithes « fibrables ». Nous avons démontré que les NPs ainsi formées pouvaient résister à plusieurs traitements du verre à haute température (environ 2000°C) et qu’elles pouvaient subsister jusqu’à l’obtention de la géométrie finale de la fibre. Il s’avère que les propriétés linéaires et non-linéaires de fibres réalisées à partir de ces monolithes sont clairement modifiées par la présence des NPs [2] .
Courbe d’atténuation d’une fibre air/silice à cœur partiellement dopé par des NPs d’or. En encart : image MEB de la fibre sur laquelle la zone dopée est symbolisée en jaune.
Courbes illustrant la fonction de réponse en transmission d’une fibre air/silice dopée ou non par des NPs d’or.
Une autre option consiste à doper le gel poreux ou le verre avec les précurseurs des NPs, puis de provoquer leur croissance cristalline de manière localisée sous faisceau laser. Dans ce domaine, notre équipe a acquis une reconnaissance internationale. En particulier dans la silice poreuse sol-gel, des réseaux 2D ou 3D de nanocristaux métalliques (Au, Ag) [3] [4] ou semi-conducteurs (CdS, PbS) [5] [6] ont été générés dans différentes conditions d’irradiation (lasers pulsés ou continus à différentes longueurs d’onde). Les mécanismes photo-thermiques ou photo-chimiques ont pu être mis en évidence selon le laser et les précurseurs utilisés. Ces travaux, inscrits principalement dans le cadre de l’ANR POMESCO, ont ainsi permis d’extraire les meilleures conditions expérimentales permettant la synthèse efficace de NPs stables dans des xérogels de silice. Une extrapolation de ces techniques aux verres denses, puis aux fibres optiques, est en cours, l’aspect localisé de la croissance des NPs étant particulièrement intéressante pour l’utilisation des non-linéarités optiques dans des lasers impulsionnels.
A gauche : Photographie et spectres d’absorption montrant la résonance SPR de NPs d’or produites dans un xérogel de silice par irradiation laser femtoseconde.
A droite : Photographies et cliché HRTEM de NPs de CdS produites au voisinage de la surface du gel par irradiation laser visible continu.
c) Fibres pour la dosimétrie
La santé et l’industrie nucléaire sont aujourd’hui demandeuses de technologies fibrées. En médecine par exemple, outre le laser biomédical ou la fibroscopie qui sont parmi les applications les plus répandues de la fibre optique, les technologies fibrées peuvent conduire à la réalisation de systèmes de mesure fiables, précis et innovants afin d’offrir aux praticiens des outils utilisables en temps réel, de plus en plus performants lors d’interventions sur les patients. Dans le domaine nucléaire, la métrologie de la dose ou de la température fait de plus en plus appel à des capteurs déportés, parmi lesquels la fibre optique a un rôle à jouer en vertu de son immunité vis-à-vis des ondes électromagnétiques parasites. Les fibres en silice sont particulièrement intéressantes car elles peuvent résister à des environnements sévères, par exemple à des doses de rayonnement de plusieurs kilograys (kGy). Dans ce contexte, notre équipe développe des barreaux de silice dopés ainsi que de nouvelles fibres pour la métrologie des rayonnements ionisants (rayons X, γ, protons…). Le fonctionnement de tels composants est basé sur les phénomènes de luminescence radio-induite spontanée (Radioluminescence RL ou scintillation) ou optiquement stimulée (OSL). Pour générer cette luminescence, on introduit dans les préformes de silice pure préparées par voie sol-gel ou par MCVD, puis a fortiori dans les fibres, un ou deux dopants (ions Cu+, Ce3+, Tb3+, Gd3+, oxyde de germanium…).
Les dosimètres fibrés devraient jouer à l’avenir un rôle majeur dans le domaine de la radiothérapie et de la physique des hautes énergies, compte tenu de leurs avantages intrinsèques (résistance aux radiations, fibres multicœurs, faible intrusivité, etc.). A titre d’exemple, la conception de dosimètres fibrés permettrait d’effectuer des mesures localisées et déportées de radiations ionisantes, ce qui constituerait une avancée certaine dans le traitement du cancer par radiothérapie, mais aussi dans la surveillance des installations nucléaires ou les lieux de stockage de déchets radioactifs.
Nous avons déjà démontré le potentiel de fibres dopées pour la dosimétrie UV, X, γ et sous faisceau de protons. Le projet SURFIN (nouveaux matériaux pour la SURveillance par Fibre optique des Installations Nucléaires), financé par l’ANDRA et le PIA sur la période 2017-2022, est piloté par le PhLAM, mené en collaboration avec le Laboratoire Hubert Curien (LabHC) de l’Université de Saint-Etienne, l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand (ICCF) à l’Université Clermont-Auvergne et l’Institut de Physique de Nice (InPhyNi) à l’Université Sophia Antipolis. Un autre projet, à visée médicale celui-ci, ambitionne d’exploiter les faibles dimensions de telles fibres optiques, ainsi que de développer leur sensibilité et la dynamique de leur réponse, pour définir précisément et en temps réel des profils de dose ou de débit de dose en radiothérapie X ou en protonthérapie pulsée. C’est l’objet du projet FIDELIO (Fiber-based In-vivo Realtime Dosimetry for Pulsed Radiotherapy), financé par l’ANR sur la période 2021-2025 et auquel nous participons avec InPhyNi, LabHC et la société iXBlue Photonics Division à Lannion. D’autres recherches sur la dosimétrie des protons par fibre optique sont menées en collaboration avec le Centre canadien d'accélération des particules TRIUMF à Vancouver.
Spectre d’atténuation d’une fibre à structure air-clad dopée au cérium.
Radioluminescence de la fibre sous irradiation X avec un débit de dose de 1,2 Gy/s. Linéarité de la réponse RL en fonction du débit de dose.