I. Condensat de Bose-Einstein

L'équipe des Systèmes Quantiques a développé récemment la première expérience de condensat de Bose-Einstein (BEC) au PhLAM. L'expérience de BEC utilise des atomes de potassium avec des interactions ajustables, et son objectif à terme est l'exploration de nouveaux phénomènes de désordre et de localisation, en lien avec les célèbres problèmes de localisation à N corps et de thermalisation quantique.

Chercheurs : Radu Chicireanu, Adam Rançon
Doctorants : Charbel Cherfan (2018-2021), Maxime Denis (2019-2022), Farid Madani (2021-2024)
Post-doctorant : Isam Manai (2019-2020)

Expériences

Le dispositif BEC se distingue par l'utilisation extensive de la technologie des amplificateurs à fibre optique (utilisée dans l'industrie des télécommunications) à l'échelle intégrale de l'expérience, ouvrant ainsi la voie à de possibles nouvelles applications pour des dispositifs compacts et transportables à atomes ultra-froids. Notre montage original comprend :

  • Un schéma de stabilisation de fréquence basé sur la spectroscopie d'absorption saturée de l'acétylène, qui, combiné à un schéma de verrouillage de phase à décalage, peut virtuellement couvrir toute la bande C des télécommunications (1530-1565 nm) Optics Express 28, 494 (2020).

  • Un système laser multifréquence à haute puissance dans le proche infrarouge (obtenu via la génération de seconde harmonique), capable d'adresser les transitions D2 (767 nm) ou D1 (770 nm), utilisé pour le refroidissement laser des atomes de potassium Appl. Phys. Lett. 119, 204001 (2021).

  • Un système laser à fibre optique pour le piégeage optique dipolaire et la condensation des atomes de potassium. Dans un schéma de conception original, nous sommes capables de contrôler dynamiquement la puissance laser avec une plage dynamique de plus de 40 dB, ainsi qu'une extinction supérieure à 60 dB, sans utiliser de modulateurs acousto-optiques en espace libre, évitant ainsi les pertes optiques inutiles et les effets thermiques indésirables (article en préparation).

  • Un système laser pulsé, basé sur un amplificateur à fibre pulsée de télécommunication et une génération de seconde harmonique, pour piloter périodiquement le BEC de potassium et réaliser un système dynamique périodiquement entraîné (modèle du rotateur frappé) afin d'étudier les phénomènes de chaos quantique et de localisation (article soumis début 2024 arXiv:2402.06573).

Désordre et localisation dans des systèmes quantiques désordonnés

Radu Chicireanu, Adam Rançon

Les simulations quantiques sont un outil puissant pour comprendre des systèmes quantiques complexes en utilisant des montages expérimentaux contrôlés et ajustables pour imiter le comportement de ces systèmes. Une application particulièrement intrigante des simulations quantiques est l'étude de la localisation d'Anderson, un phénomène où des ondes, qu'elles soient quantiques ou classiques, peuvent devenir localisées en raison d'effets d'interférence subtils, conduisant à l'absence de diffusion. Cette physique peut être simulée quantiquement en utilisant des potentiels optiques modulés périodiquement dans le temps (systèmes de Floquet). Dans notre cas, on utilise un réseau optique 1D pulse dans le temps pour exciter un nuage d’atomes ultrafroids et réaliser le fameux modèle du « Kicked Rotor » (ou « rotateur frape ») comme paradigme du chaos quantique.

Malgré la relative simplicité du système, cela permet d’étudier une physique très riche, allant des phénomènes de résonance quantiques et la création de champs de jauge artificiels, jusqu’à l’étude de la localisation d’Anderson et des transitions de phase métal-isolant associées. Les paragraphes ci-dessous quelques résultats significatifs récents.

Transitions d’Anderson en dimensions synthétiques

Les transitions de phase sont omniprésentes en physique, englobant des phénomènes thermiques comme l'ébullition de l'eau jusqu'aux transitions magnétiques dans les solides. Elles comprennent des transitions cosmologiques dans l'univers primordial et la transition vers un plasma quark-gluon lors de collisions à haute énergie.

Les transitions de phase quantiques, particulièrement intrigantes, se produisent à des températures proches du zéro absolu et sont provoquées par des fluctuations quantiques plutôt que thermiques. L'intensité des fluctuations est très sensible à la dimensionnalité des systèmes physiques, ce qui détermine l'existence et la nature des transitions de phase. Les systèmes de faible dimension présentent souvent une suppression des transitions de phase, tandis que les systèmes de haute dimension tendent à montrer un comportement de type champ moyen. La transition d'Anderson de localisation-délocalisation se distingue parmi les transitions de phase quantiques, car elle conserverait son caractère non champ moyen dans toutes les dimensions.

Des expériences récentes marquent la toute première observation et caractérisation de la transition d'Anderson en quatre dimensions, en utilisant des atomes ultra-froids comme simulateurs quantiques avec des dimensions synthétiques. Nous caractérisons la dynamique universelle à proximité de la transition de phase. Nous mesurons les exposants critiques décrivant les propriétés d'invariance d'échelle de la dynamique critique, qui obéissent à la loi d'échelle de Wegner. Notre travail constitue la première démonstration expérimentale que la transition d'Anderson n'est pas de type champ moyen en dimension quatre.

Cette thématique phare de l’équipe Gaz Quantiques est fruit de collaborations de longue date avec des chercheurs du LKB Paris (Dominique Delande, Nicolas Cherroret) et NUS Singapour (G. Lemarié).

Voir aussi :

Transition classique-quantique et chaos quantique

Le chaos quantique, caractérisé par le comportement des systèmes quantiques dont les limites classiques sont chaotiques, ne conduit pas toujours à une sensibilité aux conditions initiales. Dans certaines conditions, ces systèmes peuvent subir une transition de phase dynamique, modifiant soudainement leur comportement vis-à-vis de la mémoire des conditions initiales. Avant un certain temps critique tE, le système est chaotique et ne conserve pas cette mémoire ; après ce temps, l’interférence quantique augmente la probabilité de retour à l’état initial. Le temps tE est lié à la notion de ‘temps d’Ehrenfest’ τE, correspondant à la transition classique-quantique du système. Utilisant une expérience de rotateur frappé atomique avec des atomes de Cs refroidis par laser, nous avons observé un changement soudain du comportement du système, acoquinée a cette transition : avant le temps critique, le système subit un mouvement chaotique dans l'espace des phases et sa mémoire des états initiaux est effacée ; après le temps critique, l’interférence quantique augmente la probabilité qu'une trajectoire chaotique revienne à l'état initial, permettant ainsi au système de récupérer sa mémoire initiale [PRL 121 134101 (2018)].

Ces résultats sont issus d’une collaboration théorique avec Chushun Tian, chercheur à l'Académie chinoise des sciences.

Symétries dans des systèmes quantiques désordonnées

Les propriétés de localisation des systèmes désordonnés sont sensibles à leurs caractéristiques de symétrie de l’Hamiltonien. Cependant, cette question a été peu explorée expérimentalement jusqu'à présent. Grâce à un contrôle temporel précis des modulations de potentiel, nous avons démontré la réalisation d'un champ de jauge artificiel dans une dimension synthétique (temporelle) d'un système quantique désordonné excité périodiquement (de Floquet). En ajustant la force de ce champ de jauge, nous pouvons contrôler les propriétés de symétrie de renversement temporel du système, que nous sondons à travers l'observation expérimentale de trois signatures révélatrices et sensibles à la symétrie de la localisation. Les deux premières sont la rétrodiffusion cohérente (so-called « coherent backscattering », CBS) [PRL 118 184101 (2017)], marqueur de la localisation faible, et la diffusion cohérente vers l'avant (« coherent forward scattering », CFS), véritable signature d'interférence de la localisation d'Anderson, que nous avons observée expérimentalement pour la première fois [Nat. Commun. 9 1382 (2018)]. La troisième est la mesure directe de la fonction d'échelle β(g) dans deux classes de symétrie différentes, permettant de démontrer son universalité ainsi que l'hypothèse de l'échelle à un paramètre. [PRA 97 061601 (2018)]

Théorie de la localisation dans des systèmes dynamiques en interaction

Adam Rançon, Radu Chicireanu

En lien avec la nouvelle expérience de condensation de Bose-Einstein avec interactions contrôlables, nous avons étudié théoriquement et numériquement, plusieurs scénarios sur la localisation dynamique en présence d'interactions. Dans [PRA 101, 043624 (2020)], nous avons analysé la dynamique d'un rotor à atomes en plusieurs corps avec des interactions au niveau du champ moyen, régie par l'équation de Gross-Pitaevskii. Nous avons montré que l'interaction détruit la localisation dynamique, la remplaçant par un comportement subdiffusif, sans que l'exposant subdiffusif soit universel.

D'autres études ont exploré les effets des fortes interactions des bosons à cœur dur en 1D, dans le régime de Tonks-Girardeau. Dans [PRA 104, 043302 (2021)], nous avons démontré que la localisation dynamique persiste, appelée Localisation Dynamique à Plusieurs Corps (MBDL), et que cette phase est effectivement thermique, contrairement à la rupture d'ergodicité observée dans les systèmes standard localisés. La distribution de moment décroît selon une loi de puissance à grands moments, indiquant un contact de Tan thermique. Une autre étude [Quantum 7, 917 (2023)] a généralisé ces résultats aux modulations quasi-périodique avec trois fréquences, réalisant un modèle de localisation/transition d’Anderson effectif en dimension 3. De manière similaire mais pas complètement équivalente au cas sans interactions, un gaz de Tonks soumis à un potentiel quasi-périodique montre une transition de délocalisation dynamique lorsque la force du potentiel augmente. Enfin, nous avons étudié le modèle de Lieb-Liniger dans la limite de peu de corps [PRA 103, 043314 (2021)], montrant que deux bosons interactifs se localisent toujours dynamiquement, mais leur distribution de moment suit une décroissance en loi de puissance C/k4, avec un contact de Tan C qui reste fini aux temps longs.